Pourquoi (et comment) changer ?
« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » disait Héraclite. Philosophe du 6ème siècle avant J.-C., Héraclite soutient – comme Bouddha à la même époque – que tout est en perpétuel changement : « Rien n’est permanent, sauf le changement ». Malgré les apparences, rien ne demeure identique mais, sous l’effet de forces contraires et de tensions, tout se fait et se défait constamment : choses, êtres vivants, technologies, pensées, croyances, civilisations. Comme l’a relevé Schopenhauer, nous sommes partagés entre le désir et l’ennui. Nous connaissons la source de nos insatisfactions, nous désirons changer – de lieu, d’amour, d’amis, de travail et même de manière de voir le monde. Et pourtant, l’inertie prend souvent le dessus, tant dans la vie personnelle que professionnelle. Pourquoi ? C’est parce que nous rencontrons trois obstacles majeurs au changement : l’habitude, la peur et la difficulté de savoir ce que l’on désire vraiment. Si l’on ne peut éviter le changement, que faire pour s’adapter et, pour le dirigeant, conduire le changement ?
Dans son ouvrage Neuroleadership, le cerveau face à la décision et au changement, Philippe Damier souligne que plus de 80 % de nos comportements sont des habitudes, des comportements moteurs automatisés qui nous permettent d’accomplir d’autres activités exigeant notre concentration. Changer nos habitudes représente un effort et un risque qu’enregistre notre cerveau. Il y a bien des freins neurologiques au changement, un changement qui nous contraint à sortir de notre zone de confort, en générant de l’incertitude et de la crainte. De plus, nous ne sommes pas tous égaux face au changement. Notre perception du risque est variable suivant les personnes, et l’explication n’est pas neurologique mais socioculturelle. Plus un enfant est encouragé, mis en confiance à l’école, habitué à prendre des risques, à échouer sans être stigmatisé, mieux il s’adaptera aux changements. En revanche, on peut anticiper et gérer ses propres réactions au stress, ses propres peurs et résistances personnelles, en travaillant sur une meilleure connaissance de soi, tels les sportifs de haut niveau, et sur sa propre plasticité cérébrale, par la relaxation, le yoga, la sophrologie, la méditation. Mais en a-t-on vraiment la possibilité ou la volonté ?
Alors, pour en venir au monde de l’entreprise, que peut – et doit – faire un manager pour préparer son équipe au changement ? Avant tout, le manager doit toujours avoir en tête que tout changement est stressant par nature. Il lui faut d’abord expliquer pourquoi il est nécessaire de changer – donner ou plutôt dégager le sens – et partager une vision avec celles et ceux qui vont la vivre et la mettre en œuvre. Il s’agit ensuite de créer le contexte favorable au changement, pour faire évoluer la culture de l’organisation. Il faut surtout accompagner le changement en réservant des périodes protégées pour permettre aux gens de prendre le temps de digérer, de souffler. Dans un monde dominé par la vitesse et la performance, il peut y avoir une culpabilité très forte chez celles et ceux qui appréhendent le changement à ne pas pouvoir se conformer à cette image. Le manager doit savoir leur dire qu’il est normal d’avoir peur, les laisser exprimer leurs appréhensions et surtout, être capable de reconnaître lui-même sa propre peur.
En effet, le travail est, par nature, une expérience affective. Il est de moins en moins possible de séparer notre vie privée – qui autorise l’expression des sentiments – de nos activités professionnelles – qui privilégient la fonctionnalité et la rationalité. Or, l’affectif fait partie intégrante de l’adaptation. Selon Quy Nguyen Huy, c’est le capital affectif de l’organisation, qui peut générer des dynamiques de réceptivité (l’inverse de la résistance, et préalable à l’acceptation du changement), de mobilisation (sur des actions collectives et des objectifs communs), et d’apprentissage de nouveaux comportements (avec la modification éventuelle des principes et valeurs sous-jacents, la culture d’entreprise). Quelles sont alors les compétences-clés utiles au développement du capital affectif de l’organisation ? Ce sont naturellement celles qui forment l’intelligence affective : empathie, sympathie, capacité à encourager et redonner de l’espoir, authenticité dans l’expression des émotions.
L’affectif est une caractéristique intrinsèque à la nature humaine, rarement prise en compte au sein de l’entreprise (mais cela évolue). Pourtant, particulièrement dans les situations de changement, les dirigeants ont grand intérêt à gérer son impact et développer leur capital affectif.
Pour en savoir plus, venez au séminaire de Barbara STIEGLER « Il faut s’adapter » et au séminaire de Philippe VAN DEN BULKE « Conduire le changement »