#8 – L’IMMUNITÉ COLLECTIVE, UN ENJEU PHILOSOPHIQUE
La stratégie de l’immunité collective (herd immunity en anglais, herd signifiant « troupeau »), est bien connue des épidémiologistes mais pas de l’opinion publique européenne.
Si le terme d’immunité collective remonte à 1923, le principe lui-même remonte au XVIIIe siècle, au moment où la variole était la première cause de mortalité en Europe. Le mathématicien suisse Daniel Bernoulli estima alors qu’une inoculation du virus sur la population réduirait drastiquement la contagion, mais au prix d’un petit nombre de victimes. Avec la découverte du vaccin, ce risque chuta, la technique du vaccin fut donc adoptée et la variole éradiquée.
Pourtant, la question – morale, politique autant que statistique – persista : comment affronter le dilemme éthique qui oppose le devoir de prendre soin de chacun – selon le principe de la morale déontologique – et le souci de protéger le plus grand nombre et de calculer les conséquences à l’échelle collective – selon le principe de la morale conséquentialiste (ou utilitariste) ?
De plus, pour l’épidémiologiste Mircea Sofonea (Enseignant-Chercheur à l’Université de Perpignan), cette stratégie repose sur deux hypothèses fragiles, à savoir d’une part que le virus ne va pas muter, d’autre part que l’immunité des personnes contaminées soit durable. Même en admettant que ces deux hypothèses tiennent la route, la stratégie de l’immunité collective pose d’abord un grave problème moral : celui d’exposer les plus fragiles.
Est-ce à dire que la quête de l’immunité collective doive être rejetée ? Sans aucun doute lorsqu’elle prend la forme du « laisser-faire » envisagé au début de l’épidémie par les Britanniques : limiter les perturbations sur le fonctionnement de la société, mais laisser mourir un grand nombre de personnes fragiles, avec la menace de faire éclater les services de soins…
Et pourtant, l’enjeu de l’immunité collective n’en demeure pas moins central dans toutes les autres stratégies adoptées contre le Covid-19, celle de l’endiguement mise en place en Chine, en Corée du Sud et à Taïwan, ou celle de l’atténuation, mise en place en Europe continentale et en France en particulier.
Dans celle-ci, on restreint les activités pour ralentir la diffusion du virus, afin d’adapter le nombre de cas aux capacités de prise en charge, et permettre d’atteindre, à terme, une immunité collective avant d’autoriser le redémarrage des activités. Bref, dans l’attente d’un vaccin, on jongle entre confinement, secours aux personnes à risque et contamination lente.