#9 – L’ESPRIT D’ÉQUIPE A L’ÉPREUVE DU CONFINEMENT
Quand le bureau ou l’atelier devient un lieu de méfiance, voire de contamination, que reste-t-il de l’esprit d’équipe si patiemment cultivé ?
Si l’on considère que l’esprit d’équipe est formé par la proximité d’un groupe de personnes qui se rassemblent autour d’une tâche ou d’une mission précise, alors il est bel et bien en danger au temps du Covid-19. C’est ce que défendrait le philosophe écossais David Hume : pour lui, ce que nous appelons esprit d’équipe serait la « sympathie », passion qui se nourrit de cette proximité soutenue, forme d’empathie bien particulière élargie à toute l’équipe et préalable à toute solidarité.
Mais l’impression de ne faire qu’un, vivace lorsqu’une équipe se réunit tous les jours autour d’un objectif clair, peut se diluer avec le nombre de membres, le temps, et surtout avec l’éloignement spatial. La vision humienne, si elle correspond à une certaine réalité de l’expérience de groupe, fait de l’équipe un résultat purement circonstanciel, qui ne dépend pas de volontés individuelles de s’unir.
Or, à l’heure du Covid-19, il est donné à chacun de mesurer les efforts que font les membres de l’équipe pour continuer à travailler ensemble. Soudain, l’ensemble de l’équipe est lié non pas par un lieu, une tâche ou un intérêt partagé, mais par un sens de l’effort librement consenti. Ainsi, l’esprit d’équipe en temps de coronavirus est peut-être plus proche de ce que Emmanuel Kant appelle le « Geist » dans la Critique de la faculté de juger (1790), un principe qui met en branle les forces de l’esprit. Cet esprit d’équipe au sens fort du terme naîtrait des forces conjointes d’un ensemble de volontés libres, capables d’ordonner leurs actions à une certaine idée d’eux-mêmes et du groupe. Le travail en équipe s’apparenterait alors à une forme de devoir, au sens kantien du terme.
L’éloignement est peut-être la seule manière pour un réel esprit d’équipe d’émerger. Peut-être réalisera-t-on, une fois le confinement terminé, que cet esprit d’équipe qu’on s’efforçait tant de cultiver en temps normal à coup de babyfoot et de team building, ne pousse en fait que dans la difficulté et dans l’adversité ?